Björk notes

liberation.fr, 25 mai 2007

« Et si vous aviez une question à poser à Björk ? » Neuf figures aux univers variés se sont prêtées au jeu. La diva pop répond à chacun. Propos croisés.

Anaïs / Chanteuse

Vos morceaux ont des arrangements musicaux et des sons très sophistiqués, sur une voix lead aux rythmiques et aux textes en revanche très simples et ingénus, qui semblent ancrés en vous. Cette cuisine est un peu votre « patte », pour moi. Que pensez-vous de ce point de vue ? Est-il exagéré ? Auriez-vous envie de faire l’inverse ? Une voix lead aux mélodies et rythmiques subtiles sur des arrangements et des sons roots ?
Je n’ai jamais envisagé les choses ainsi, mais vous avez probablement raison. Peut-être mon intellect n’a-t-il mûri que tardivement. Sur le plan musical, je crois avoir été une enfant précoce ; les mots et les idées, en revanche, ont germé en moi tardivement. A tel point qu’encore aujourd’hui je n’arrive pas à m’adonner à la lecture d’ouvrages théoriques. Quant à la simplicité de la production... j’aime ça, ça me convient parfaitement !

François Bégaudeau / Ecrivain

Etait-il si nécessaire de remettre dans la musique populaire toute la préciosité et la religiosité dont le rock l’avait débarrassée ?
Le rock me semble s’être dissocié du christianisme pour d’évidentes raisons, mais c’était il y a une cinquantaine d’années. De nos jours, nous n’avons plus à souffrir de ce genre de dualité, il est important pour moi de combiner tous ces éléments sans chercher à les esquiver : spiritualité, plaisir, idiotie, préciosité, délicatesse, beauté, poésie, agression, confrontation, destruction et naissance. Toute la gamme me convient ­ et je ne dois pas être la seule à ressentir les choses ainsi. Raison pour laquelle je n’aime ni le rock, qui est bien trop limité, ni la religion, qui en plus se fonde sur une occultation de bien des réalités de l’existence.

Dominique Gonzalez-Foerster / Vidéaste

Un climat préféré ? Pourquoi ?
J’aime les îles les plus petites possible avec des forêts humides. Je me suis déjà rendue sur Gomera, qui appartient à l’archipel des Canaries, et Takeshima, une des îles du sud du Japon. C’était magique de se retrouver au milieu d’une telle quantité d’oxygène ! Un summum, définitivement ! Avec des créatures tellement différentes. Je me sens également très détendue sur des îlots, peut-être en raison de mes origines insulaires, quelque chose qui aurait à voir avec le fait de ne pas se sentir prisonnière du continent, du pouvoir central, des institutions. Mais c’est sans doute le climat islandais qui me convient encore le mieux, environ 10 °C et du vent. Là, je suis à ma place.

Christian Lacroix / Couturier

A chaque sortie de disque, vous semblez investir un univers inédit de A jusqu’à Z (packaging, vidéo, look). Pourriez-vous imaginer aller un jour encore plus loin (installation dans une biennale d’art contemporain, tournée d’un nouveau genre, film en 3D, théâtre shakespearien...) ?
On m’a déjà sollicitée pour des installations, mais je me suis toujours dérobée à la dernière minute, probablement parce que je ne sens pas en moi l’enthousiasme nécessaire pour mener à terme un projet de ce type. J’aime cogiter, avoir des idées, avec des amis, mais enregistrer des disques et décliner une proposition musicale sous toutes ses formes, avec les joies et les contraintes que cela implique sur une durée moyenne de deux ou trois ans, c’est encore ce qui me convient le mieux. Je ne me sens pas prête pour un tel investissement dans d’autres domaines artistiques. Encore que du théâtre en 3D, ça pourrait être drôle...

Luz / Dessinateur

Vous qui avez travaillé sur « Medúlla » avec Robert Wyatt, pouvez-vous nous dire si, quand il parle, il a la plus belle voix du monde, comme lorsqu’il chante ?
Totalement ! C’est un être magique, un conteur extraordinaire, capable de manier l’humour noir et un sens hilarant de l’autoparodie, avec une capacité à s’enthousiasmer ardente, presque enfantine, des théories maison très personnelles et absolument aucune complaisance pour lui même.

M/M / Designers

Pendant tout le temps de conception de ton dernier album, tu n’as cessé de nous rendre compte de la bataille acharnée que se sont livrée les deux hémisphères de ton cerveau ; aujourd’hui que le personnage « Volta » envahit la réalité, peux-tu nous dire duquel de tes deux hémisphères cet être imaginaire est issu ?
Quand je suis au milieu d’un projet, il m’est très difficile de le considérer avec du recul. Maintenant que le disque est sorti depuis quelques jours, je le vois peut-être comme une célébration de tous les aspects humains, la terre, les erreurs, la nourriture, le sexe, la catharsis, la joie. Ce qui prédomine, néanmoins, c’est que le personnage central du disque se tient debout, les deux pieds dans la boue, pour dénoncer toute cette fausse spiritualité et cette religion dont il faut se moquer. Mais quel hémisphère l’emporte ? Je ne sais pas encore. J’aurai peut-être une réponse dans un an...

Miossec / Chanteur

La musique celtique a-t-elle joué un rôle dans votre créativité ?
Je ne pense pas. Je crois d’ailleurs n’en avoir jamais écouté. La nation islandaise a vécu isolée pendant un millénaire, mais elle a apparemment été fondée par des Vikings venus de Norvège et des esclaves irlandais, alors des influences se sont peut-être infiltrées. Il n’y a jamais eu à ma connaissance d’instruments d’origine celtique en Islande, il n’y avait d’ailleurs pour ainsi dire pas d’instruments du tout durant les six cents années de persécution danoise. Ce qui a fait que le chant s’est longtemps développé chez nous comme unique forme d’expression musicale.

Michel Ocelot / Réalisateur

Quand ferons-nous une balade ensemble dans la nature islandaise ?
Bientôt ! J’adorerais vous montrer de près la flore. On trouve en Islande les plantes qui ont l’optimisme le plus tenace de la planète. Elles sont minuscules mais superbes.

Sylvie Testud / Actrice

Aki Kaurismäki, Quentin Tarantino, Wong Kar-wai ; si un de ces trois réalisateurs vous proposait un rôle, lequel choisiriez-vous ?
Aucun. Le cinéma ou la musique sont des activités pour lesquelles j’ai trop de respect. On doit se destiner, parfois une vie entière, aux choses auxquelles on est prédestiné. Je n’éprouve pas une passion suffisante pour le cinéma. Déjà qu’il me semble manquer de temps à consacrer à la musique...

par Gilles Renault publié dans liberation.fr