Michel Gondry

Réalisation

Travail avec Björk

Réalisation des clips :

Né le 8 mai 1963 à Versailles, il grandit dans une famille sous forte influence pop : son grand-père, Constant Martin, a inventé le Clavioline, l’un des tous premiers synthétiseurs, son père est vendeur de guitares électriques et sa mère est selon lui un peu « hippie ».

Enfant, Michel Gondry se rêve peintre ou inventeur. Il fabrique avec son cousin, une machine à faire des dessins animés. Plus tard, il s’achète une caméra 16 pour réaliser de petits films d’animation. Dans les années 80, il entame des études de dessin à l’École Olivier-de-Serres à Paris, une école d’arts appliqués où il fait la connaissance des futurs membres du groupe pop-rock Oui Oui dont il est le batteur officiel jusqu’en 1992, date de leur séparation après l’enregistrement de deux albums.

Sa carrière

Ses débuts, de batteur à clippeur

En 1988, il réalise son premier clip pour son groupe, Junior et sa voix d’or puis la même année suivent Un Joyeux Noël et Bolide. Jusqu’en 1992, il jongle entre clip « perso » et « commande extérieure » essentiellement avec des chanteurs français.

Sa rencontre avec Björk

« Elle était venue faire des photos avec Mondino, elle a vu sur MTV un des clips que j’avais faits pour Oui Oui (La Ville) et elle a accroché.

Quand je l’ai vue arriver la première fois, elle avait l’air timide. Elle n’était pas tellement connue, à part avec les Sugarcubes.

Au tout premier abord, j’ai été un peu déçu parce qu’elle a une sorte de beauté qui passe plus à l’image. Au naturel, elle a cette beauté, mais en lui donnant un peu de temps. En dix minutes, ça y est, on est conquis. On était allés déjeuner ensemble et on a commencé à parler de choses et d’autres qu’on aimait et ça a fusé. Il y avait plein de petits détails, des films qu’on aimait ­on préférait les dessins animés des pays de l’Est plutôt que Disney au niveau de l’animation, on aimait bien ce qui était fait à la main, où on voyait la facture, ce qu’elle appelle lo-tech vs high-tech, la combinaison des deux. Ça a été assez rapide, on s’est dit plein de choses. Après le repas, j’avais plein d’idées dans la tête, je suis allé sur la table de travail et je lui ai concocté un petit story-board qui est devenu le clip de Human Behaviour. »

source : Björk : Témoignages, Anne-Claire Norot et Joseph Ghosn (lesinrocks.com) – 2001


Clippeur attitré de Björk

Parmi ses différentes collaborations, celle avec Björk constitue probablement l’une des plus marquantes. D’abord par sa richesse et pour le caractère « spécial » de leur relation et enfin parce qu’elle marque respectivement le début de leur carrière internationale.


Les deux complices travaillent en commun dans l’élaboration des clips.


« Avec Björk, on s’envoie des tonnes de fax, d’idées, il y a de longues discussions, des échanges d’images. » [5]


« Je pensais avoir une relation privilégiée avec elle, mais je me suis rendu compte plus tard que c’est une relation qu’elle a avec beaucoup de gens. Elle a cette relation presque intime, dans le sens créatif, avec tous les gens avec qui elle collabore.

Parmi tous les artistes avec qui j’ai travaillé, c’est la personne la plus stimulante que j’ai rencontrée ­ et qui sait le plus vous donner confiance en vous. Elle voit en vous ce que les autres n’ont pas encore vu. Au contraire de gens comme Madonna, qui vont toujours chercher des gens qui sont à la mode, Björk trouve des gens de nulle part et reste fidèle. On a fait six clips ensemble, c’est la seule artiste pour qui j’ai fait autant de clips.

Un truc génial, c’est qu’elle ne met pas les gens en compétition. Elle pense que quand on met les gens en compétition, on démarre une relation où les gens sont d’une certaine manière humiliés. C’est facile d’avoir une relation de créativité avec elle, mais elle a quand même pas mal de choses à dire et elle m’a pas mal dirigé dans certaines choses qu’elle voulait faire. Mais ça ne m’a pas dérangé, c’est un enrichissement pour moi.

Son image, elle n’y prête pas plus d’importance que ça. Elle se fiche d’avoir l’air fatigué, elle n’a pas cette histoire d’ego et de beauté miroir qu’ont la plupart des artistes femmes. Par contre, elle attache beaucoup d’importance au visuel, elle considère le clip à sa juste valeur, c’est un prolongement de ses chansons.

Björk et moi, on a créé ensemble un univers visuel, on est entrés ensemble dans un paysage qu’on créait tous les deux, je n’ai donc pas eu l’impression que c’était dur de rentrer dans son univers. Et puis, elle est très simple d’approche, et nos univers sont proches. Au niveau de nos parents, on a vécu des trucs un peu similaires. Je n’ai jamais ressenti de différence culturelle avec elle, au contraire. Pour les clips suivants, on s’est mis une sorte d’autopression parce qu’il fallait placer la barre plus haut, ne pas se répéter, ne pas faire moins bien.

Chaque fois, j’ai essayé de l’emmener dans des directions différentes, même si entre Human Behaviour, Isobel et Bachelorette, on voulait une sorte de fil conducteur. Ça l’intéressait d’avoir une sorte de pointillé entre les différentes vidéos qu’on a faites ensemble.

Ce qui est bien avec elle, c’est qu’elle est ébahie par les techniques, les inventions des clips. Elle a regardé certaines de mes trouvailles ­ comme le rouleau d’herbe dans Human Behaviour­ complètement émerveillée, et moi j’étais fier ! Dans un clip, quand les artistes ne jouent pas, ils vont dans leur loge pour rester concentrés, se protéger. Elle, elle reste toujours là, elle regarde, elle est émerveillée, elle réfléchit, elle veut aider, elle bricole un truc. Qu’on filme un gros plan d’elle ou un gros plan d’un petit caillou, ça a la même importance pour elle.

Björk est inspirante. En travaillant avec elle, j’ai appris à suivre mon instinct. Quand on demande ce qu’elle préfère, elle dit « Je ne sais pas, suis ton instinct. » Comment court-circuiter l’intellect quand on a une idée, savoir si elle est juste ou bonne sans avoir à l’analyser ? Parce que si on l’analyse, on la tue. Björk m’a appris à faire confiance à mes idées, à y croire.

Elle a plein de facettes. Elle s’oriente d’une manière qui correspond à la personne avec qui elle parle. C’est marrant, quand je l’ai rencontrée pour la première fois, je lui avais dit « Quand on se parle, tu as un accent assez fort, mais quand tu chantes, tu as un accent anglais parfait. » Elle est devenue toute rouge et elle a dit « C’est parce que tu es français et je prends l’accent français. » Elle a ajouté « Je suis une éponge. Quand je suis avec quelqu’un, je le reflète. » Je crois que c’est une sorte de simplicité qu’elle a de se mettre au niveau des gens. Je lui ai parlé il y a quelques jours au téléphone, ça m’a fait plaisir. J’aimerais bien refaire un clip avec elle. Je lui ai dit « Maintenant que tu as travaillé avec Chris Cunningham et Lars von Trier, tu considères que je suis un ringard » et elle m’a dit « Mais ça va pas ? Je pensais que tu ne voulais plus faire de clip avec moi parce que je suis trop vieille ! » ­ ça m’énerve un peu quand elle travaille avec d’autres réalisateurs. On en a déjà parlé ensemble, ça lui a fait plaisir quand je lui ai dit que j’étais jaloux. Et on s’est dit qu’on en referait un. Je la laisse me tromper avec d’autres réalisateurs, mais je garde un œil, je la surveille. »

source : Björk : Témoignages, Anne-Claire Norot et Joseph Ghosn (lesinrocks.com) – 2001


« Je suis systématiquement jaloux quand Björk travaille avec un autre réalisateur. [...] Même si je comprends Björk, ça me rend fou de rage, de manière irrationnelle. Je vois notre relation un peu comme ces mariages très seventies, où les époux couchaient à droite à gauche pour préserver leur couple. » [6]


La signature Gondry doit, ici, beaucoup à la collaboration avec l’islandaise, qui a été l’une des premières à lui donner la réalisation d’un clip "majeur", notamment au regard de son budget. Libéré du cahier des charges imposé par les maisons de disques, Gondry entame une intime et fidèle collaboration avec la musicienne. Une collaboration d’autant plus étroite que l’écriture se fait en duo, en jonglant avec leurs cultures, leurs obsessions... Ils ont ainsi donné naissance à la trilogie Human Behaviour - Isobel - Bachelorette, à la manière des sagas traditionnelles islandaises.

Björk doit évidemment beaucoup à l’univers décalé et innovant du réalisateur qui a su retranscrire en images la singularité de sa musique.

Octobre 2007, nouvelle collaboration avec Björk avec le clip du titre explosif Declare Independence, et en 2011 Michel GOndry signe le clip de Crystalline.

Une carrière prolifique et internationale

Gondry compte environ 70 clips à son actif pour des artistes comme les White Stripes, les Chemical Brothers, les Rolling Stones, Massive Attack, Radiohead ou encore Devendra Banhart.

En 2003 est publié The Work of Director Michel Gondry, un DVD qui regroupe une sélection de ses clips de 1987 à 2003. Ce DVD est l’un des sept volumes de la collection Director’s Label, label créé avec deux clippeurs « concurrents » issus de la même génération mais néanmoins amis Spike Jonze et Chris Cunningham.

La publicité

À ce jour, il a réalisé une trentaine de spots pour des marques comme, Air France, Nike, Smirnoff ou EDF.
Ses travaux publicitaires vont lui valoir de nombreux prix. Notamment en 1994 où il reçoit le Lion d’Or à Cannes pour la pub Levi’s Drugstore. Le spot pour Smirnoff , et d’autres encore, seront aussi primés.
Il devient rapidement l’un des vidéastes les plus prisés par les musiciens et les publicitaires.


le saut vers le grand écran

Il avait déjà eu l’occasion de « s’entraîner » en réalisant plusieurs court métrages comme La lettre (1998) ou Three Dead People (date inconnue).

En 2001, il réalise son premier film Human Nature écrit par Charlie Kaufman à qui l’on doit notamment Dans la Peau de John Malkovich . Ce premier essai est un échec tant commercial que critique.
Sa seconde tentative va connaître un sort plus enviable. Eternal Sunshine of the Spotless mind (co-écrit par Charlie Kaufman et Michel Gondry) sortie en 2004 est un succès. La presse est globalement enthousiaste et le public est au rendez-vous. Ce second film lui permet de décrocher l’oscar du meilleur scénario.

Pour son 3ème film, The Science of Sleep, Gondry a essayé de convaincre Björk de jouer dans son film. Mais l’expérience Dancer in the Dark avec Lars von Trier a été apparement trop douloureuse pour la pousser une nouvelle fois vers le cinéma. (+++ article du guardian)

Le style Gondry

L’univers de Gondry est assez singulier, particulièrement si on compare ses clips à la majorité de la production actuelle. Il a contribué à l’émergence d’un nouvel imaginaire visuel.

Il privilégie la musique et plus particulièrement la rythmique : Star Guitar des chemical brothers 2002 et The Hardest Button to Button des White Stripes 2003 sont des exemples frappant.

Il ne cherche pas à mettre en avant l’artiste privilégiant plutôt la narration d’une histoire : Bachelorette de Björk 1997, Dead Leaves and the Dirty Ground des White Stripes 2002, Everlong des Foo Fighters 1997.

Il met en image des idées originales : Star Guitar des Chemical Brothers 2002 où le paysage se modifie en fonction du rythme, Come Into my World de Kylie Minogue 2002 où la chanteuse se multiplie, Around the World des Daft Punk 1997 où chaque instrument est représenté par un groupe de personnages.

L’ambiance est plutôt joyeuse, naïve, très colorée et pleine de fantaisie. Thomas Bangalter, de Daft Punk, dit, en parlant du travail de Gondry « c’est à la fois très naïf et complexe » [7].
Gondry est très attaché à garder « son esprit d’enfant » [8] et ce n’est sans doute pas un hasard si le documentaire autobiographique figurant sur le DVD The Work of Director s’intitule « I’ve been twelve forever »...

Onirique est encore un terme qui convient pour définir son travail. Il déclare lui-même : « Je pique beaucoup d’idées dans mes rêves ». Et en effet, des clips comme Deadweight de Beck 1997 ou Let Forever Be des Chemical Brothers 1999 semblent tout droit sortie de ses songes.

En cela le clip A l’Envers à l’Endroit de Noir Désir (2003) co-réalisé avec son frère Olivier fait véritablement figure d’exception avec ces images sombres, dures et répétitives mettant en scène des ouvriers .

Technique

Dans ses clips comme dans ses films, il s’oppose à une utilisation systématique de moyens technologiques de post-production privilégiant les effets réalisés en direct quitte à ce que le rendu paraisse moins réaliste. Cette volonté est manifeste dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind notamment la scène du bain dans l’évier.

Ainsi, pour concrétiser l’effet souhaité sans passer par l’ordinateur, il crée lui-même ses outils de travail. Il va ainsi être à l’origine de « l’effet Matrix ». Pour la publicité Smirnoff , il filme un acteur sous différents angles aux mêmes moment pour donner une impression d’image arrêtée tout en conservant un mouvement de caméra. Il sera aussi le premier à utiliser le morphing non pas pour modifier le visage d’une personne mais pour diriger la caméra.

Goûts et influences

Il se dit influencé par le style des années 60 que l’on retrouve par exemple dans le clip Let Forever Be (1999) des Chemical Brothers avec l’utilisation d’images kaléïdoscopiques. Il dit aimer particulièrement les films de Charlie Chaplin, Alain Resnais, Jean Vigo et Tim Burton.

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