Interview

La presse (Quebec), 17 septembre 2007

Björk accorde des entrevues au compte-goutte. L’avoir au bout du fil est presque impossible. Sauf que l’excentrique diva islandaise n’est pas seulement appréciée des amateurs de musique branchée, elle l’est, elle aussi, branchée. Elle a donc invité des journaux à lui transmettre des questions par écrit. On a tenté le coup, convaincu que c’était comme lancer une bouteille à la mer. Or, Björk a repêché le message de La Presse dans sa boîte à courriel et a répondu. À notre grande surprise. Transcription quasi intégrale d’une interview à l’ère d’internet.

Q On a eu l’impression que vous cherchiez à vous éloigner le plus possible de la musique dite pop avec Vespertine et Medùlla. Comparé à Post ou Homogenic, Volta ne s’en rapproche pas non plus. Avez-vous le sentiment d’avoir fait le tour de la musique « pop » ?

R Peut-être avons-nous des conceptions différentes de ce qu’est la pop. J’ai le sentiment qu’une bonne partie de ces trucs manufacturés qu’on qualifie de pop de nos jours n’en est pas. C’est une machine de marketing mercantile qui n’est pas faite par des musiciens qui aiment la musique de tout leur coeur, mais conçue dans l’espoir d’obtenir pouvoir, richesse et célébrité. Vous savez déjà tout ça, je n’ai pas besoin de le prêcher... Ça saute aux yeux, mais j ’ai le sentiment que c’est justement devenu tellement évident que les gens s’y sont habitués et y sont insensibilisés. D’une certaine façon, je trouve que c’est une bonne chose que, par la faute d’internet, il y aura moins d’argent à faire avec la musique pop. Ça signifie que les gens assoiffés de célébrité et d’argent devront aller voir ailleurs et laisser la musique tranquille.Il y a 50 ou 100 ans, le genre de musique qu’il y a sur Vespertine, Medùlla et Volta était considéré pop ou folk. Le folk du passé n’est pas stupide. Le tango ? Le flamenco ? La musique indienne ? Des rythmes complexes, une virtuosité incroyable et, pour couronner le tout, des paroles poétiques. Tout le monde savait l’apprécier, les enfants comme les gens âgés. J’ose espérer qu’une telle époque reviendra. Peutêtre pas de mon vivant, mais bientôt

Q L’aspect tribal de Earth Intruders relève de l’évidence. Globalement, Volta est habité par une certaine tension. Comment l’expliquez-vous ?

R J’imagine qu’après avoir goûté au plaisir de rester à la maison pendant un certain temps, j’étais prête à renouer avec le monde extérieur et à m’engager. Pas d’une façon passive et contemplative, mais d’une manière très active et très humaine. Je prends la parole, au risque de me tromper, mais il m’a paru que le temps était venu pour des gens normaux, qui ne sont pas politisés, de faire entendre leur voix.

Q Vous avez travaillé avec Konono#1 du Congo et Toumani Diabaté du Mali sur Volta. La musiqueafricaineoccupe-t-elle une place importante dans votre parcours de musicienne ?

R Pas tellement. C’est une coïncidence qu’ils proviennent tous deux du même continent. Ils ne se sont pas retrouvés sur Volta en raison de leurs origines, mais en raison des instruments qu’ils jouent. J’ai trouvé fantastique que les gens de Konono aient pris un piano à pouce, qu’ils l’aient branché sur une source d’électricité et qu’ils se soient mis à faire des rythmes électroniques sans l’aide d’un ordinateur. De l’électro en temps réel, c’est rare ! Quant à Toumani, c’est un musicien tout simplement extraordinaire. Je cherchais des instruments à cordes possédant une résonance singulière, une espèce de « twang ». J’ai fini par m’acheter un clavicorde, par demander à Min Xiao Fen de jouer du luth chinois (le pipa) et puis Toumani a ajouté sa kora malienne. J’étais extatique !

Q M.I.A. est l’une des rares artistes capables de se mesurer à votre énergie brute. Elle s’applique également à mêler différents types de musique. Que pensez-vous de ce qu’elle a accompli jusqu’ici ?

R Elle a donné quelques concerts avec moi. Elle est fantastique ! Une force de la nature ! Une bouffée d’air frais ! Elle possède un instinct incroyable et elle est capable de prendre le pouls de ce qui se passe dans le monde de nos jours. Pas seulement celui de l’Occident, mais celui de la planète entière. J’adore sa voix et elle possède un incroyable sens du rythme.

Q L’autocollant, les costumes, il y a décidément quelque chose de ludique dans la pochette de Volta.Comment cela s’intègre-t-il à votre quête musicale qui, elle, semble très sérieuse ?

R Je ne trouve pas que mon travail est si sérieux. Ma musique compte beaucoup pour moi, mais ça ne signifie pas qu’elle est dépourvue de sens de l’humour. Les choses les plus sérieuses dans la vie sont souvent les plus hilarantes J’estime qu’environ 70% de mes textes de chanson relèvent de l’autodérision.

Q Vous n’avez pas fait l’actrice depuis votre expérience avec Lars Von Trier (Dancer In the Dark, 2000), mais vous avez participé à Drawing Restraint 9 (DR9) et avez prêté votre voix à un film islandais. Avez-vous l’intention de rejouer dans un film de fiction un jour ou préférez- vous garder vos énergies pour des projets plus artistiques tels DR9 ?

R Je n’ai pas le sentiment d’avoir dû jouer dans DR9. Je faisais partie d’une sculpture. La façon dont Matthew (Barney, son compagnon de vie) travaille avec les gens n’implique aucune technique de jeu. Il cherche plutôt à les sculpter, à les métamorphoser en des espèces de formes... Au bout du compte, je vais plutôt continuer à faire de la musique, c’est bien plus amusant. Et puis attendre sur un plateau de tournage, c’est teeellement ennuyant !

Björk est en spectacle vendredi, 19h, au Quai Jacques-Cartier.

par Alexandre Vigneault publié dans La presse (Quebec)