Interview de Pascale Clark

Tam tam etc. - France Inter, 3 septembre 2001

À l’occasion de son dernier passage à Paris où elle a donné deux concerts au Grand Rex et deux à la Sainte Chapelle, la chanteuse islandaise Björk a rencontré Pascale Clark.

Le dernier album de Björk, Vespertine est sorti le 28 août dernier.
Vespertine et vespers sont des mots tirés de l’Apocalypse qui évoquent la botanique, la zoologie, l’astronomie, l’esprit et le rythme de l’univers.
Björk revient pour un nouveau concert au Théâtre des Champs Élysées le 1er novembre prochain.

À propos de l’intensité fanatique qu’elle provoque :

« Je dois me concentrer uniquement sur mes chansons, je pense qu’il y a quelque chose en moi, à l’intérieur comme une protection qui fait que j’essaie de ne pas trop y penser, penser a certaines choses, ça envahit mon esprit en quelque sorte, je suis mal a l’aise avec ça donc je me concentre uniquement sur ça pour écrire mes chansons. »

À propos du choix de Paris comme lieu de lancement de la tournée :

« En fait, il y a plusieurs raisons, pas qu’une seule, d’abord parce que c’est assez central, parce qu’on devait aussi beaucoup répéter avec l’orchestre plusieurs jours avant le concert. Et aussi parce que je crois que le public français comprend vraiment ce que je fais… Moi, ça ne m’intéresse pas de faire de simples chansons, ce n’est pas assez pour moi. J’aimerais aller encore un peu plus loin, peut-être un peu plus décadente encore. Et les français sont prêts à m’offrir cette opportunité, ce plaisir. »

À propos de la remise de la décoration qu’elle a reçue à Paris :

« Je suis très honorée vraiment, évidemment je suis apolitique, je ne prends pas parti, mais soyez sûrs que ma musique va au delà de la politique. Je voudrais que ma musique soit encore plus universelle qu’elle ne l’est pour le moment et si les gens aiment ça, alors moi je suis heureuse… »

À propos de la mise en place des concerts :

« Quand je prépare un concert, un album ou tout ce que je peux faire, j’imagine le concert que j’aimerais voir. Et j’aime entendre des choses que je n’ai jamais entendu, j’aime être surprise, j’aime que ce soit un défi, être charmée, amusée… J’aime ressentir une émotion très particulière, de la sympathie pour l’endroit où je peux jouer. En fait, c’est tout ce spectre des sentiments, la joie, la peine, la folie, tout ce qui est possible en fait… Et quand je prépare un concert, j’essaie vraiment de donner tout ça. Je pense que les gens aiment les aventures et en général, on surestime ce monde du marché dans lequel on vit. Je ne pense pas qu’une personne se définisse elle-même comme une part du marché. Si on va dans la rue, on demande aux gens s’ils se voient ainsi, comme des consommateurs qui vivent au rythme des lois de ce marché, alors ils répondent non. De toute façon, quand on évoque le marché, c’est toujours les autres, la masse. Ces personnes là, dans la rue, elles veulent des aventures, des contes de fées, elles ne veulent pas être passives et paresseuses. Ces gens là ne sont pas stupides, ils sont intelligents. »

« Je ne pense jamais à ce que je fais quand j’achète des cd... Je ne vais pas dans des magasins car je ne veux pas qu’on me dise comment acheter, comment se comporter comment se sentir... J’aime découvrir les choses par moi-même. Mais ça ne veut pas dire que je me désintéresse de toutes ces choses qui m’entourent. Mais pour moi, c’est une façon d’être en interaction avec les gens. Et bien sur quand je suis sur scène ou que j’enregistre un album, j’expérimente beaucoup, que ce soit dans le travail ou avec les gens… »

À propos des concerts de la tournée Vespertine :

« Je pense vraiment être quelqu’un d’heureux, si vous demandez à mes proches le souvenir qu’ils ont de moi, ça doit être celui d’une enfant joyeuse. Peut-être, très introvertie mais joyeuse. Évidemment, j’ai eu des moments difficiles, surtout quand on devient adulte, cette période n’est pas très plaisante. Je voulais sortir de tous ces carcans autour de nous, faire des expériences musicales assez dangereuses, assez osées… Mais franchement, je suis quelqu’un de joyeux surtout quand je fais de la musique. Les gens qui me voient sur scène, me voient à l’endroit ou je me sens le mieux, faire ce que j’aime le plus, faire de la musique, et ça, ça me rend heureuse. »

Jouer sur scène avec bonheur

« C’est très enthousiasmant. C’est peut-être plus délicat à jouer live par rapport a mes autres albums et c’est aussi pour ça que j’ai choisi de plus petites salles. Mais comme toutes les tournées que j’ai pu faire, il y a une grosse part de risque. Mais sans ça, ça ne vaudrait pas la peine de jouer devant un public. Avec Vespertine, on a besoin de très peu de shows pour commencer à expérimenter des choses. D’habitude, après 6 concerts, on commence à exploiter toutes les facettes des morceaux, après ça marche ou ça marche pas… Mais là, le premier des quatre concerts, c’était très intense. Le public français était formidable avec moi, et peut-être que c’est pour ça que je parais plus décontractée. J’ai pu expérimenter dès le début, ici, en France, et après on travaille encore, on change ça ou ça… On fait des chansons plus longues, plus courtes…En fait, on peut répéter sans cesse et c’est la plus grande expérience de ma vie que de se retrouver face à un public. Parce que tu dois être en symbiose avec les gens qui t’écoutent. Moi je n’aime pas les concerts ou l’on reste assis, passifs… Moi, j’aime les échanges, la communication et ça doit aller dans les 2 sens d’ailleurs. Cela dit, je n’aime pas non plus les concerts ou les gens dansent et crient comme des fous…. Même si les gens restent silencieux, il se passe quelque chose de fort. J’ai été très chanceuse avec mes quatre concerts à paris. Les gens étaient très intéressés. On en a parlé avec Zeena qui m’accompagne à la harpe : on a trouvé que le public était vraiment attentif, il était prêt pour ce défi. C’était excellent. »

À propos de son succès :

« Quand le succès est authentique et plaisant comme en ce moment, avec l’accueil du public qui est extraordinaire, alors j’aime cette facette du succès… mais quand c’est artificiel, ça me gêne. Je n’aime pas les paparazzis qui te suivent partout, les gens qui tournent autour de toi. Ce côté là me déplait, ce n’est pas sain en fait, c’est étrange. Mais quand les gens aiment vraiment ce que tu fais et s’en tiennent uniquement à ça, la c’est un sentiment formidable ! Et ça me rend plus forte, et ça m’aide pour ma musique pour les prochaines fois… »

Qu’est ce qui serait pire ? perdre sa voix ou son oreille ?

« Je crois que je pourrais faire avec l’un ou l’autre si je devenais sourde, je croix que je serais capable de faire des albums plus introvertis encore, plus personnels. Et ça pourrait me plaire de mettre encore un peu plus de moi dans ma musique, surtout maintenant. Je suis prête pour ça. Si je perdais ma voix, je pourrais devenir enseignante je crois… j’ai comme une vocation en moi pour faire apprendre des choses aux autres. Vous savez comme les gens qui racontaient des histoires avant. Je peux imaginer ça, mais c’est pas facile à dire avant que ça se produise… »

transcription par kiorg

par Pascale Clark publié dans Tam tam etc. - France Inter