Biophilia, le virus sonore lancé par Björk

Tribune de Genève, 30 septembre 2011

Ce sont des notes d’orgue puissantes, trois accords bruts transformant la pompe à psaumes en litanie païenne. Une musique aussi magnifique que dépouillée, qui renvoie l’auditeur aux inventeurs du classique contemporain que sont les Kagel, Ligeti et autres Cage. La proposition centrale du nouvel album studio de Björk, le huitième de la chanteuse et compositrice islandaise, à paraître sur CD vendredi 7 octobre, tient à cela : du contemporain. Et non plus de la pop.

Une créativité débridée

Biophilia, c’est son nom, propose dix compositions nouvelles, dont trois qui étaient déjà disponibles via une application pour iPad, avec visionnement des partitions et autres prolongements numériques tels que clip interactif et analyse musicologique. Biophilia, baptisé de la sorte en référence au monde du vivant, embrasse dans une grande vision cosmogonique l’infiniment petit comme l’infiniment grand, la vie monocellulaire (chanson d’amour entre un virus et sa cellule hôte, Virus) et l’essence des galaxies.

Biophilia, une crise de mysticisme ? Il y a sans doute de cela chez la musicienne islandaise. Et tant qu’à filer la métaphore, on dira sans vergogne que la musique découverte au casque hier matin tient, en effet, de la création du monde. Un monde musical entièrement neuf. Et cependant en prise avec ce que le XXe siècle a fait de plus novateur en matière de musique. On appuie sur « play ». Voici que s’ouvre tout grand la vanne créative d’une des musiciennes les plus originales de notre temps. Une créativité brillante et débridée que Björk conjugue, une fois de plus, avec celle de nombreux collaborateurs, informaticiens, musiciens, ingénieurs du son, producteur, compositeur. Au premier rang desquels Damyan Taylor, qui a « dirigé » l’enregistrement de l’album.

Des instruments sur mesure

Innovante dans l’art autant que dans la manière, la matière sonore élaborée par Björk réinvente jusqu’à l’instrumentarium. Plusieurs instruments ont été créés spécialement pour enregistrer Biophilia. Comme le « gameleste », hybride de gamelan indonésien et de celesta, employé pour le titre Crystalline notamment. Tandis que sur Hollow
, la chanson qui comprend la partie d’orgue mentionnée plus haut, il s’agit en fait d’un instrument tout autre que ce que l’oreille croit percevoir.

On cherche l’organiste dans les crédits. Voici ce qu’on trouve en guise d’indication : programmation informatique ! Tandis que sur le titre Dark Matter est mentionné un plus abscons « sub drone application sonic sculpting ». Björk ne pratiquant aucun instrument traditionnel en particulier – le piano par exemple – elle a composé sa musique essentiellement sur iPad. C’est donc logiquement que l’ordinateur a, à son tour, servi de base pour façonner de nouveaux instruments, mais totalement virtuels cette fois-ci.

On écoute encore Hollow. Du classique contemporain dans l’inspiration. Ce pourrait être une partition de Giacinto Scelsi. Surmontée ici par une polyphonie vocale d’apparence simple au premier abord, mais d’une subtilité renversante à mesure que le thème se développe, cette chanson de Björk tient du chef-d’œuvre. Comme le reste de l’album.

Björk, « Biophilia », CD Universal, sortie le vendredi 7 octobre.

par Fabrice Gottraux publié dans Tribune de Genève