A quelques semaines du lancement de la tournée Cornucopia en Europe, Télérama a rencontré Björk en Islande pour parler de sa vie en Islande, du futur féminisme et de ses contradictions.
Tout chez moi peut paraître effectivement contradictoire. Une contradiction avec laquelle j’ai appris à composer. Fondamentalement, je suis une personne réservée qui se contente d’une existence presque cloîtrée, mais qui, de temps en temps, peut se laisser aller à une petite dose d’extraversion. Comme faire la DJ en dansant comme une dératée ou discuter avec vous comme je le fais aujourd’hui. Ma chance est d’avoir toujours pu imposer mes règles et mon rythme, mener une existence en accord avec mes besoins biologiques. Je travaille et conçois l’essentiel de ma musique seule avant de la proposer aux autres. Lorsque je m’époumone sur scène face à des milliers de gens, je me donne entièrement, j’y prends même du plaisir, mais dès que le concert est fini je dois m’isoler aussitôt dans ma chambre avec un livre. Une simple question d’équilibre. Introvertie ne signifie pas asociale, au contraire, juste inapte à toute forme de relation superficielle.
Björk
La solution n’est pas d’envoyer tous les hommes sur une île pour ne plus jamais avoir à leur adresser la parole. Nous avons toutes, dans nos vies, des hommes, des pères, des oncles et des amants avec qui on ne demande qu’à vivre en paix. Dans les treize commandements du Manifeste pour un futur féminisme, mon préféré est de loin celui-ci : “Que l’homme soit soulagé de son rôle de protecteur prédateur.” Une formule magnifique parce qu’elle se lit comme un compliment, en reconnaissant que les hommes nous ont effectivement protégées, mais que ce rôle a, en même temps, fait d’eux des prédateurs. Ce sont deux énergies très proches, et voilà de quoi les hommes sont prisonniers.
Björk
Au contraire, l’Islande a été une terre de refuge, de fuite de la violence du monde. Beaucoup de femmes sont venues d’Irlande autrefois, en apportant des livres, et l’Islande a abrité le premier parlement démocratique, à ciel ouvert. Comme par hasard, le mythe des Vikings ultra violents et cruels est venu d’Angleterre.
N’est-ce pas ironique de la part d’un pays, probablement le plus sanguinaire, qui a conquis la moitié du globe à la force de l’épée ? La vérité est que les Vikings sont les seuls à avoir résisté aux Anglais et à les avoir battus : il fallait donc qu’ils façonnent cette image de monstres absolus pour sauver leur honneur.Björk
L’article est à lire dans le numéro 3840 de Télérama, accompagné d’une photo inédite de Vidar Logi.