KR : Volta est votre troisième album depuis 2004. Pourquoi un rythme de travail aussi soutenu ?
Björk : En fait, je ne travaille pas tant que ça. Je ne crois pas aux longues heures de studio. J’ai toujours été comme ça. Déjà, à l’époque où je faisais partie d’un groupe punk, je ne comprenais pas l’idée de s’enfermer dans une salle de répétition huit heures d’affilée. Je venais passer une heure et je repartais pendant que les autres se débrouillaient avec leurs instruments. On n’a qu’une vie, et la passer cloîtrée dans un studio, c’est un peu... En fait, je me contredis, car je passe un temps fou sur l’editing. Quatre heures par jour en moyenne. Je peux aussi passer des semaines sur un titre pour ajuster un détail, même si je ne recherche pas la perfection. Medúlla, mon avant-dernier album, était un disque uniquement vocal, où la majorité des morceaux ont été enregistrés très vite. Mais sur Volta, cela faisait longtemps que je ne m’étais pas forcée à garder les choses aussi crues.
Les sections rythmiques de Volta ont été créées après les chansons. N’y avait-il pas un risque de déstabiliser l’équilibre de vos compositions ?Non. Je procède de cette manière depuis treize ans. Je préfère travailler comme ça. Je suis une chanteuse et j’aime construire ma musique autour des mélodies et du contenu émotionnel de mes chansons. Quand les mélodies arrivent après les sections rythmiques, on aboutit à un type de musique totalement différent. Je préfère quand les mélodies arrivent en premier.
Comment avez-vous conçu les beats de Volta ?
Je n’ai pas conçu tous les beats de Volta. Ceux que j’ai créés ont été programmés sur Pro Tools. Chaque beat nécessite une approche différente. J’aime beaucoup travailler à l’opposé des méthodes employées par les groupes de rock traditionnels. Ils utilisent toujours les quatre ou cinq mêmes instruments et finissent par écrire la plupart de leurs chansons de la même manière. J’aime quand chaque chanson suit son propre cheminement et développe sa propre éthique de travail.
Volta comporte de nombreuses collaborations (Antony, Mark Bell, Konono n° 1, Chris Corsano...), mais aussi plusieurs titres avec Timbaland.
Je ne connaissais pas Timbaland, mais notre admiration était mutuelle. Il a samplé ma chanson « Jóga » il y a onze ans. Il en a refait un titre totalement différent et raconté un peu partout qu’il adorait « Venus As a Boy ». Il y avait des cordes indiennes dans ce morceau qu’il appréciait beaucoup. Peu après, des rumeurs de collaboration se sont mises à circuler. Il ne s’est jamais rien passé, mais je sentais que le moment était venu d’enregistrer un album complet de musique tribale uptempo. Au bout de trois heures de studio, on avait déjà écrit sept chansons. Je n’avais jamais travaillé à une vitesse pareille, et lui non plus. Après ça, Timbaland s’est impliqué dans le projet de Justin Timberlake, puis dans l’album de Nelly Furtado. Il devait partir au Japon pour des apparitions N et il n’avait pas beaucoup de temps devant lui. J’ai dû terminer les morceaux seule, ce qui était une bonne chose. J’étais très honorée qu’il me fasse confiance. Je ne crois pas qu’il ait déjà travaillé comme ça avec quelqu’un d’autre.
Avez-vous rencontré physiquement tous les invités de Volta ou avez-vous procédé par échange de fichiers ?
J’ai rencontré tout le monde, mais toutes ces collaborations n’ont pas forcément eu lieu dans un studio d’enregistrement. Je travaille avec mon Mac et je peux m’installer un peu partout. Volta a été enregistré dans une vingtaine de lieux différents. Des chambres à coucher, des bateaux, des chambres d’hôtel...
Les collaborations vont-elles devenir de plus en plus fréquentes sur vos prochains enregistrements ?
Je n’en sais rien... Je passe beaucoup de temps à écrire seule, et je dirais que 90 % de Volta résulte d’un travail en solitaire. J’ai passé très peu de temps en studio avec Antony et Timbaland, mais j’ai passé des semaines, des mois, dans une salle d’editing à réarranger leurs parties et à ajouter des instruments autour d’eux. J’ai beaucoup de chance de collaborer avec autant d’artistes, mais pour moi, ces collaborations doivent se faire sur un pied d’égalité. Il faut abandonner les ego. Mais je crois aussi que si ça fonctionnait toujours comme ça, mon album ne tiendrait pas debout. Je dois toujours passer beaucoup de temps à créer un squelette et des muscles pour que les collaborations s’appuient sur quelque chose de concret. J’ai toujours aimé les extrêmes. J’aime beaucoup la solitude, mais j’aime aussi travailler avec d’autres musiciens, quand nous nous rapprochons et que... (elle joint ses mains). Il me faut un peu des deux.
N. I.
Björk Volta (One Little Indian/Barclay/Universal)
Sessions congolaises en Belgique
Marc Hollander et Vincent Kenis, respectivement fondateur du label Crammed et découvreur/producteur de Konono N° 1, racontent la collaboration entre Björk et la formation congolaise.
Derek Birkett, patron du label One Little Indian, a pris contact avec Crammed pour proposer cette collaboration. Björk tenait absolument à faire jouer Konono N° 1 sur son album, et elle était prête à se rendre à Kinshasa. Elle connaissait bien évidemment leur album, qui a suscité beaucoup d’engouement au sein du public et des médias rock et électroniques, particulièrement aux USA et en Grande-Bretagne. Konono, par contre, ignoraient tout de Björk, mais ils ne se sont pas laissés impressionner : ils font la musique qu’ils ont toujours faite, depuis les années 70, et s’en tiennent à leur ligne conductrice. L’idée d’enregistrer a Kinshasa nous paraissant difficile à concrétiser, nous avons opté pour Bruxelles, au Studio Caraïbes, du 8 au 10 mai 2006. Björk est venue passer trois jours à Bruxelles, accompagnée de Derek Birkett, et de son ingénieur/programmeur Damian Taylor. Damian a travaillé en étroite collaboration avec Vincent Kenis, qui connaît bien la musique et le son de Konono puisqu’il a non seulement « redécouvert » le groupe mais a également enregistré, mixé et produit son album. Les membres de Konono avaient leurs instruments avec eux, mais pas leur amplification, nous avons donc emprunté de vieux amplis à lampes : un Bassman de 1963, un Showman de 1965, un très vieux Vox AC30. Les sessions se sont terminées par un festin dans un petit restaurant congolais du quartier populaire d’Anderlecht, avec Björk, Damian et Konono au complet. Les rapports furent chaleureux, mais la communication verbale est restée aussi indirecte qu’elle l’avait été tout au long de ces trois jours, puisque les échanges entre Björk et Mingiedi (le vieux leader de Konono) nécessitaient une double traduction, Mingiedi s’exprimant exclusivement dans un dialecte kikongo, tandis que son interprète parle le français mais pas l’anglais... La collaboration risque de se poursuivre sur scène, lorsque les agendas des uns et des autres le permettront : Björk a ainsi invité Konono N° 1 à assurer la première partie des trois concerts qu’elle donnait à New York début mai. »