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Björk : À la recherche d’une libération cathartique

RedBull , 5 octobre 2022

L’Islandaise, nous raconte l’importance de ne pas compromettre sa créativité et nous explique pourquoi nous devrions danser comme des trolls.

L’Islandaise de 56 ans parle depuis sa maison de Reykjavik, l’endroit qui a inspiré son dernier album Fossora ou « celle qui creuse », que Björk décrit comme « un album champignon ». Il a été réalisé après cette période de pandémie avec, dit-elle, le sentiment que nous prenions tous racine. L’album est aussi novateur et audacieux que l’on peut s’y attendre de la part d’une artiste qui a fait carrière en étant intransigeante et inventive. Et cela donne à sa musique ses propres racines. Björk ajoute qu’elle continue simplement de faire ce qu’elle fait depuis qu’elle a quatorze ans.

Fossora est votre dixième album studio, mais vous êtes toujours aussi inventive. Le titre Trölla-Gabba notamment... A-t-il été inspiré par votre idée d’une fête de trolls ?
Je l’écoute quand je suis un troll. Je pense que nous sommes tous des trolls parfois – parfois, nous sentons comme un chat ou un oiseau délicat ou quelque chose d’autre, et parfois comme un troll. Et quand on se sent comme un troll, on a envie de sauter, le poing en l’air, en recherche d’une certaine libération cathartique. Je pense qu’il est important de danser souvent, jusqu’à un âge avancé, pour que cela fasse partie de notre mode de vie.

Vous dansez à l’écoute de vos chansons dans votre salon ?
Je ne danserai jamais sur ma propre musique. Je pense que c’est impossible pour moi. Mais il m’est arrivé d’être DJ. Pendant la pandémie, j’ai été DJ dans quelques endroits du centre-ville lorsque les règles se sont assouplies, dans des bâtiments où il n’y avait que quelques personnes, peut-être cinquante max. Mon set préféré dure quatre heures et commence par de la musique classique ou de la musique du monde pendant une heure, puis la deuxième heure est un peu plus rapide, la troisième heure encore plus rapide et la dernière heure n’est que du gabber brutal et de la techno. Cela décrit assez bien mes goûts musicaux.

En matière de musique, vous ressemblez à un David Attenborough, toujours à la recherche de l’inconnu. Pourquoi est-ce important ?
Je ne me comparerais pas à David Attenborough, mais oui, je suis très excitée lorsque j’entends quelque chose de nouveau. La nature nous a faits de telle sorte que nous nous renouvelons complètement tous les sept ans, nous sommes un agglomérat de cellules totalement nouvelles. Nous devenons des personnes différentes. Il est important de pousser notre croissance émotionnelle et psychologique jusqu’à quatre-vingt-cinq ans, ou plus, pour en être conscient et ouvert, et pour nous débarrasser de suffisamment de déchets dans nos vies pour pouvoir aller de l’avant et continuer à grandir. Les scientifiques qui ont étudié le cerveau ont remarqué que si vous écoutez une nouvelle chanson que vous n’avez jamais entendue auparavant, votre cerveau crée un nouveau territoire pour elle. Si vous n’écoutez que vos vieux titres préférés, la partie musicale de votre cerveau ne se développe pas.

La musique électronique est un terrain de jeu idéal pour vous, sans aucune limite ?
Aucune musique n’a de limites, c’est une question d’imagination et d’état d’esprit. On peut stagner ou être imaginatif dans n’importe quel genre. Il s’agit plutôt de savoir si tout ce que pouvez mettre dans une chanson est là ou pas.

Comment voyez-vous votre place dans l’industrie musicale ? En tant qu’artiste à succès, êtes-vous libre de faire ce que vous voulez ?
J’ai toujours fait ça, depuis que je suis adolescente. J’étais dans des groupes punk et nous étions chez un label indépendant en Islande, donc il ne s’agissait pas de faire de l’argent. Si quelqu’un avait besoin d’un poster, je faisais un poster, si quelqu’un avait besoin d’une pochette d’album, quelqu’un faisait une pochette. Je viens de ce milieu DIY (Do It Yourself, ndlr) depuis l’âge de quatorze ans, où il n’est pas nécessaire de vendre son âme aux entreprises pour être musicienne. Cette mythologie, où la maison de disques arrive sur un cheval blanc pour vous signer et vous sauver, et où, si elle vous laisse tomber, vous êtes un loser, c’est de la fiction. Cela n’a rien à voir avec la musique. Je me sens très chanceuse d’avoir été entourée de personnes plus âgées que moi quand j’avais quatorze ans. Notre philosophie c’était : mieux veut avoir un contrôle créatif total et vendre trois disques que de se plier à des compromis.

Vous en tenez-vous toujours à ces règles aujourd’hui ?
Rien n’a vraiment changé. Je fais toujours la même chose que quand j’étais ado. Si vous êtes propriétaire de votre travail, maîtresse de votre créativité et que vous êtes conscients de vos talents, vous pouvez faire ce que vous voulez pour le reste de votre vie. Si plein de gens aiment ce que vous faites, c’est un bonus, mais j’ai toujours été consciente qu’un jour tout cela pouvait disparaître. Dans ce cas, je continuerais à faire de la musique.

par Marcel Anders publié dans RedBull