Utopia est une renaissance

Tsugi, 24 novembre 2017

Comme souvent avec Björk, c’est par l’image qu’on a été invité à se plonger dans son nouvel album. Avant même d’écouter une seule note de cet Utopia, nous étions mis en face d’une série de photos promo : la pochette du disque d’abord, symétrique, aquatique, monstrueuse, où Björk s’affiche avec une forme à l’air solide mais pour autant visqueux plaquée sur le visage. D’autres portraits ont suivis, avec des orchidées rappelant la forme d’une vulve, ou armée d’un gode ceinture grenat sur fond de moumoute bleue. L’instrument fétiche de cet album une nouvelle fois co-produit par Arca ? Des flûtes. Côté évocations sexuelles, qu’elles soient féminines ou masculines, on ne pourrait pas faire plus fourni.

Car Utopia, comme beaucoup de travaux récents de la chanteuse islandaise, parle de sexe. Mais pas celui, désespéré, de Vulnicura, où une fente béante se plaçait sur sa poitrine, blessure repoussante pour un album de rupture. Non, Utopia est une renaissance. Une découverte des applications de rencontre, une quête sex-positive et féministe, où le corps se réapproprie ses envies et son instinct, comme sur “Body Memory” par exemple. Le titre (peut-être le meilleur de ce long album) évoque le moment où, quand l’esprit oublie tout, le corps se souvient — comment être mère, comment être femme, comment être amante. Le discours hédoniste y est soutenu par des cordes, des bruits d’animaux, et une sorte d’arythmie cardiaque dans la construction, comme un palpitant qui saute un battement. De bout en bout Utopia sera organique : on y entend des bruits de marais sur “The Gate”, une harpe et des tambours sur “Blissing Me” (sur lequel on est invité à “tomber amoureux d’une chanson”, puis de directement “tomber amoureux” de Björk, et ce dès la deuxième piste), des bruits d’oiseaux sur le romantique et plein de flûtes morceau-titre. Pas de beat, ou presque, jusqu’à la huitième piste.

On a beau gentiment arriver en hiver, c’est le printemps que raconte Björk sur cet album : celui des oiseaux qui chantent, des corps qui se réveillent, de l’amour et de la passion qui reviennent. Mais attention, pas l’amourette gentille made in Disney. Comme elle le chante si bien sur “Body Memory”, on ne peut pas “apprivoiser” Björk Guðmundsdóttir. Alors oui, tout le monde est nostalgique de ses chefs d’oeuvre Debut, Homogenic ou Vespertine. Mais aujourd’hui plus que jamais, c’est Björk qui décide, et avec Utopia, elle a choisi de se faire plaisir. Et nous avec.

par Clémence Meunier publié dans Tsugi