Chaque création vécue comme un saut dans l’inconnu : Bjork ne cesse d’explorer le continent pop depuis ses débuts pour en extraire des sons singuliers, quitte à dérouter ceux qui la suivent dans ses cheminements. Avec son nouvel album « Medulla », essentiellement vocal, l’Islandaise n’échappe pas à son attirance pour l’expérimentation, avec tous les écueils que suppose cette approche.
Entre abandon à la puissance de la nature et repli sur l’intime, l’artiste a toujours dessiné à travers ses disques un univers immédiatement reconnaissable. Avec à l’aplomb des éléments sonores, une voix qu’elle module à sa guise pour en faire jaillir un chant riche d’onomatopées, de cris, halètements ou murmures.
Dans le sillage de la cérémonie d’ouverture des Jeux d’Athènes où, lors de l’interprétation d’un de ses nouveaux titres « Oceania », la musicienne avait recouvert de sa robe symboliquement universelle l’ensemble des athlètes réunis dans le stade olympique, « Medulla » suit plus que jamais cette voix, tout en en appelant d’autres.
Solo vocal -parfois a cappella- ou ensemble choral, l’humain, dans ses explosions et ses mystères, emprunte des voies expérimentales qui, par leur ambition même, risquent de désorienter, voire de rebuter. Car en repoussant ses frontières, Bjork a pris le pari de livrer un album paradoxalement dépourvu de sentiment et de chair là où le défi était de célébrer le corps.
Cette fois, ce ne sont ni l’énergie de l’extraverti « Homogenic » (1997) ni les recoins intérieurs du cocon « Vespertine » (2001), sa précédente création, qui font loi. Album se voulant proche de l’essence de l’être, « Medulla » est à la lisière des deux. Le titre même du disque signifie « moelle » en latin : « les racines, en quelque sorte », confie Bjork, dont la récente maternité a joué un rôle primordial. L’artiste pensait « d’abord appeler l’album ’Ink’, en référence au sang qui coule en nous tous, dans nos veines... ».
Nouveau jalon audacieux dans une discographie déjà forte en originalité depuis le début de sa carrière solo en 1993, « Medulla » a été enregistré dans 18 lieux, dont l’Islande, New York, Venise et les Iles Canaries.
A cette diversité purement géographique, s’est ajoutée une multitude de collaborations. Le programmeur Mark Bell, le mixeur Mark Spike Stent, Valgeir Sigurdsson, Matmos, familiers de son univers, ont été rejoints dans l’aventure par nombre d’autres : The Icelandic Choir et The London Choir, la « chanteuse de gorge » inuit Tagaq, le Japonais Dokaka, découvert sur le web, Robert Wyatt, Mike Patton de Faith No More et Rahzel, l’ex « human beat box » des Roots. Le tout a été orchestré par Bjork pour aboutir à un disque -au processus « libre et ludique »- qui se voulait intuitif.
« Quelque chose en moi avait envie de quitter toute civilisation, revenir aux origines et chercher ce qui était advenu de l’âme humaine au fil du temps », explique l’artiste. « Que se passerait-il sans la civilisation, les religions, le patriotisme... Sans toutes ces choses, du moins certaines, qui font que le monde n’a peut-être pas pris la bonne direction ? ».
Dans « Medulla », Bjork tenait à ce que les artistes invités émettent « un son vraiment spécial et original ». Mais ces voix n’effacent en rien la présence de l’Islandaise dont la palette s’enrichit de 14 titres syncopés, recueillis ou poétiques. Dans cet ensemble mâtiné d’électronique, de piano et de gong, dominent « Pleasure is all mine » en ouverture, « Where is the line » pareil à un volcan, « Vokuro » (en islandais), le galvanisant « Who is it (carry my joy on the left, carry my pain on the right) », l’étoilé « Desired Constellation », « Mouths Cradle » et l’énergique « Triumph of a heart ».
A ceux qui considèreraient « Medulla » comme son album le moins accessible, Bjork répliquait récemment dans « Les Inrockuptibles » : « Je ne crois pas être devenue trop absconse (...). Je suis simplement quelqu’un qui aime chanter et qui est friand de nouvelles aventures ».
source : nouvelobs.com